Au-delà de la crise du logement : un marché à deux niveaux ?
La solution à la crise du logement à laquelle nous sommes confrontés ne serait-elle pas de reconnaître que les intérêts de notre population en matière immobilière divergent ?
À l'heure où la crise immobilière bat son plein, nombre de citoyens et résidents luxembourgeois sont confrontés à de telles difficultés pour accéder à un logement que beaucoup d’entre eux se dirigent vers l'extérieur de nos frontières. L'Allemagne semble être une destination particulièrement prisée. « Pour le prix d'un petit appartement à Luxembourg, nous avons acheté une belle maison avec jardin en Allemagne, derrière la frontière », déclare un jeune ingénieur.
Dans un contexte où même la location est devenue inabordable pour beaucoup au Luxembourg, il est paradoxal de constater que le secteur de la construction est en crise : de nombreuses entreprises sont obligées de mettre une partie de leur effectif au chômage, malgré un besoin sans précédent de logements.
La solution à cette crise immobilière ne pourrait-elle pas résider en une prise de conscience d’une certaine nature schizophrène du marché du logement ? En effet, une partie de nos citoyens n’a aucun intérêt à ce que les prix baissent. Si vous détenez un bien immobilier, vous voulez que les prix augmentent. Mais il y a l’autre partie des citoyens : les gens qui n'arrivent pas à entrer sur le marché immobilier de l'achat. Pour ces gens, il s’agirait de développer un marché parallèle, plus encadré financièrement.
Pourquoi ne ferait-on pas, par exemple, la promotion de l'émergence de coopératives d'habitation ? À Zurich 20% des appartements de la Ville sont détenus par des coopératives. À Luxembourg, on doit frôler les 0%. Outre la diminution des coûts, les coopératives favorisent souvent une certaine forme de vivre-ensemble, créant ainsi des liens sociaux.
Par ailleurs, en Suisse, comme en France, on trouve des fondations foncières, dont le but est d'extraire des terrains du marché spéculatif. Ces terrains sont ensuite loués en bail emphytéotique à des particuliers ou à des coopératives d’habitation.
Il ne s’agirait évidemment pas de copier un à un des modèles de coopérative ou de fondation foncière étrangers, mais de développer des modèles adaptés aux spécificités du contexte luxembourgeois.
Bien entendu, ni l’État, ni les Communes ne peuvent développer seuls ce marché parallèle. Il s’agirait pour les pouvoirs publics de soutenir les citoyens qui prennent l’initiative de le créer et que ceux-ci s'organisent. Comme l'a fait la Suède en 1915-1930. En pleine crise de la construction et du logement, dans le contexte de la première guerre mondiale et à l'issue de la pandémie de la grippe espagnole, l'inflation battait déjà son plein à l'époque. Un mouvement coopératif a vu le jour et ne serait-ce qu’entre 1923 et 1927, 2.500 logements ont été construits. Ces logements n'étaient pas seulement à la pointe de la technologie de l'époque, mais ils sont d'une grande qualité architecturale.
Le logement est un besoin humain essentiel. En même temps, la financiarisation de l’immobilier a créé une situation complexe, dont il faut tenir compte. Une solution pragmatique serait donc un marché à deux niveaux qui d’un côté préserverait les intérêts financiers des nombreux propriétaires immobiliers au Luxembourg, et d’un autre côté développerait des solutions de logement plus encadrées financièrement et donc plus abordables.
Conférence "Swedish Grace: How Housing Cooperatives Kickstarted in 1920s Stockholm" par Jan Rydén Bonmot, organisée par April Initiative au Luxembourg Center for Architecture (luca). 18:30 le 19 Avril 2024. En savoir plus.